Energie Noire

 Aristote l’avait déjà compris : « la nature a horreur du vide ».

 On le sait aujourd’hui, « vide » ne rime pas avec néant. Bien au contraire, son omniprésence dans l’univers (il représenterait plus des trois quart de son contenu) est source de matière et d’énergie. Ses propriétés, révélées par la physique quantique, donnent le vertige : à chaque seconde, dans chaque tête d’épingle de ce vide, des milliards de particules apparaissent et disparaissent, les unes laissant sur place un cadavre en forme de pure énergie dans lequel les autres puisent pour se « matérialiser ».

 Refroidi au zéro absolu, le vide devrait avoir un niveau d’énergie nul. Or, il en est tout autrement : le vide affiche un niveau d’énergie minimal appelé état fondamental. « Le vide affiche un niveau d’énergie minimal, qui peut être métaphoriquement comparé à la surface de la mer, perpétuellement parcourue de vaguelettes » nous dit Bertrand Duplantier de l’Institut de Physique du CEA. « Alors que le niveau moyen de l’eau est constant, les petites variations de hauteur des vaguelettes correspondent aux « fluctuations quantiques » du vide. Celles-ci peuvent être électromagnétiques. Cela mène à une nouvelle notion, celle de particules virtuelles qui apparaissent et disparaissent sans cesse : une particule et son antiparticule surgissent puis s’annihilent ».

 En 1948, Hendrik Casimir prédit théoriquement que deux plaques conductrices comme des miroirs parallèles développent une force attractive les rapprochant l’une de l’autre dans un vide absolu. Son interprétation fait appel aux « fluctuations quantiques » du vide (les fameuses mini vaguelettes des ondes électromagnétiques).

 Que se passe-t-il entre les deux plaques? A l’intérieur des deux miroirs, seules certaines ondes peuvent se réfléchir entre elles, celles présentant un nombre entier d’oscillations. Tandis qu’à l’extérieur, toutes les ondes peuvent se propager. Cette répartition inégale entre les deux miroirs produit une force d’attraction car la pression entre les plaques n’est pas suffisante pour s’opposer à celle s’exerçant de part et d’autre des deux plaques. Cette force du vide, c’est l’effet Casimir.

 « Cette prédiction spectaculaire n’a été testée et validée précisément qu’en 1997 par une équipe américaine menée par Steve Lamoreaux, à l’époque à l’Université de Yale » nous précise Bertrand Duplantier.

Certains physiciens osent même franchir le pas et recourir aux « fluctuations quantiques » du vide pour expliquer les origines de l’univers. Andreï Linde, de l’université de Stanford, émet même l’hypothèse selon laquelle une des ces fluctuations pourrait croître pour donner naissance à un nouvel univers.

 En 1998, suite à leurs observations, deux équipes d’astronomes (université Johns Hopkins et Berkeley) ont formulé l’interprétation suivante : non seulement l’espace est en expansion, mais cette expansion s’accélèrerait. Une force particulière agirait donc sur l’univers. La question qui se pose est de savoir si cette énergie noire (baptisée ainsi par les scientifiques) aurait un quelconque lien, une similitude avec l’énergie du vide.

 L’énergie noire emplirait 76% de l’Univers actuel. De nature et de composition inconnues, elle accélèrerait donc l’expansion sans s’y diluer. La matière « ordinaire », constituant des planètes et des étoiles, ne représenterait, elle, que 4%. Enfin la « matière noire »(se diluant avec l’expansion), qui ne peut être observée, mais dont l’existence se manifeste par ses effets gravitationnels constitue 20% de l’Univers.

Il est bon de noter que moins de 0,5% est dédié aux étoiles et à la matière visible( par ses rayonnements ou par son absorption de la lumière) et que moins de 0,03% sont accordés aux constituants de la Terre et de la vie, les éléments chimiques lourds tels que le carbone, l’azote, l’oxygène, le silicium et le fer.

 De nos jours et en moins de 10 ans, l’énergie noire a envahi les projets de recherche en astronomie. La concurrence scientifique et technologique bat son plein et les premiers projets ciblés devraient commencer à voir le jour à l’horizon 2015.