IMPERMANENCE

« Un préjugé est plus difficile à briser qu’un atome ». Albert Einstein.

 La notion même de temps ne peut plus se limiter à la simple approche conceptuelle de linéarité et de continuité. La vision restreinte d’un passé, présent et futur est si bien ancrée dans notre subconscient que rien ne pourrait contrarier sa logique implacable. Et pourtant bien des expériences mettent à rude épreuve cette mauvaise perception de la réalité.

 

 La physique moderne mit fin à cette idée d’un temps unique et absolu.

 

 Elle a commencé par différencier le temps psychologique, celui que nous avons imaginé comme repère universel mais totalement virtuel et dénué de fondement lorsque nous observons l’infiniment petit, et le temps physique qui perd sa rigidité et se lie étonnamment avec son partenaire de toujours : l’espace. Pour Einstein « nous devons garder dans l’esprit le fait que du point de vue physique la coordonnée temporelle et les coordonnées spatiales sont définies de manière tout à fait différente ».

 

 C’est Einstein qui le premier mit en avant cette singulière union.

 

 La notion d’espace temps vient de naître et la complémentarité des deux associés apparaît simplement : l’espace qui se rétrécit se transforme en un temps qui s’allonge. De même, le temps est, à la fois, ralenti par la vitesse (pour vieillir moins rapidement il faut aller très vite), mais aussi par le champs de gravité (la quantité de matière se trouvant aux abords). Le temps peut se dilater ou se rétrécir selon le mouvement de l’observateur : il est par conséquent élastique. Et c’est le couple même espace-temps qui devient flexible.

 Avec le paradoxe des jumeaux de Langevin, nous visualiserons mieux cette théorie.

 

 deux jumeaux : un embarque dans un astronef et voyage dans l’espace à la vitesse phénoménale de 99,5 % de celle de la lumière, alors que le second reste sur terre. A cette allure là, le spationaute vieillit dix fois moins vite que le bon vieux terrien. Ici, le ralentissement du temps prévu par la relativité est effectif et cette théorie a été vérifiée récemment avec l’aide d’un accélérateur de particules très puissant.

 

 Pour Einstein, le temps est toujours là, statique, tout entier présent, réunissant tous les événements du commencement jusqu’à la fin de l’univers. La physique ne s’exprime pas en passé, en présent ni en futur.

 

 « Imaginons », dit Einstein « que l’on ait filmé le mouvement brownien* d’une particule et que l’on ait conservé les images dans leur suite chronologique correcte, pour ce qui concerne le voisinage des images ; seulement, on a oublié de noter si la suite temporelle correcte va de A à Z, ou bien de Z à A. L’homme le plus malin sera incapable de trouver la flèche du temps à partir de ce matériel. Résultat : ce qui se passe (dans le mouvement de cette particule), ne renferme en tout cas aucune flèche du temps ». (*Mouvement brownien : mouvement aléatoire d’une « grosse » particule immergée dans un fluide et non soumise à d’autres interactions, seulement des chocs avec les « petites » molécules du fluide environnant) 

 On ne peut donc parler d’une réalité objective du temps, puisque aucun élément ne peut permettre d’ établir un sens au déroulement de l’action. Nous pouvons transposer cet état aux lois de la physique classique, qui restent valables quelque soit le temps donné.

 

 Finalement, chaque point de l’espace-temps possède son propre temps.

Dans la Grèce antique, les premiers philosophes à traiter le sujet du changement furent Héraclite et Parménide.

 

 Le premier maintenait que l’univers est en perpétuel changement et que tout n’est que mouvement et écoulement sans commencement ni fin : toute chose, dans son individualité, est vouée à changer, à un moment ou à un autre.

 

 Pour Parménide, le changement était incompatible avec l’Être qui lui est Un, continu et éternel.

 

 Pour Héraclite, la perception de la réalité devait tenir compte d’une certaine subjectivité des sens : « les yeux et les oreilles sont de mauvais témoins pour les hommes, s’ils ont des âmes qui ne peuvent comprendre leur langage » ; alors que pour Parménide, les sens sont fatalement trompeurs : « ne laisse pas l’habitude, née de l’ expérience, te contraindre à laisser errer, le long de ce chemin, ton œil inattentif, ton oreille bruissante, ta langue, mais juge par raison » : il nie l’objectivité du changement qui ne serait qu’illusion.

 

 Pour Aristote, « il est impossible qu’un continu soit composé d’indivisibles, par exemple la ligne de points, puisque la ligne est un continu et le point un indivisible ». Le mouvement n’est donc pas constitué de parties finies et cette discontinuité, par l’exemple de la ligne qui n’est pas composée de points consécutifs, s’ étend au temps qui lui n’est pas composé d’instants.

 

 Aristote, « l’instant n’est pas une partie, car la partie mesure et il faut que le tout soit composé des parties ; or le temps ne semble pas composé des instants. En outre, l’instant qui parait délimiter le passé et le futur demeure-t-il toujours un et le même ou est-il toujours autre ? En outre, si le fait d ’être ensemble selon le temps et de n’être ni antérieur ni postérieur, c’est être dans le même et dans l’instant et si les choses antérieures et les choses postérieures se trouvent dans cet instant, on trouverait ensemble les événements d’il y a dix mille ans et ceux d’aujourd’hui, et rien ne serait antérieur ni postérieur à rien d’autre ». De proche en proche, chaque instant du futur et du passé se confond avec l’instant présent. Ces différents points de contact permettraient de définir l’ instant unique et permanent comme le point où se rencontre le passé et le futur. La réduction du temps en un seul instant est une négation de ce dernier.

 

 Aristote mentionne « qu’il serait difficile de savoir de quel mouvement le temps est nombre (le nombre est soit ce qui a été nombré soit ce qui est nombrable). C’est en effet dans le temps qu’une chose naît ,périt, croît, est altérée et est transportée ; dans la mesure donc où il y a mouvement, il est nombre de chaque mouvement ; il est nombre du mouvement continu de manière absolu. »

 

 Enfin, Aristote situe le rôle de l’âme « mais on pourrait éprouver une difficulté à avoir si, sans l’ existence de l’âme, le temps existerait ou pas, car s’il est impossible qu’existe ce qui nombrera, il est aussi impossible qu’existe quelque chose de nombrable et donc qu’il n’y aura pas non plus de nombre. » L’existence d’un nombrant est donc indispensable et donc la présence de l’âme devient nécessaire. Et de continuer « Or si rien d’autre ne peut par nature nombrer que l’âme et l’intellect de l’âme, il est impossible que le temps existe si l’âme n’ existe pas, si ce n’est ce qu’étant à un certain moment le temps est, par exemple s’il peut y avoir du mouvement sans l’âme ». Le temps n’est pas nombrable sans l’âme mais c’est le mouvement qui détermine ou non son existence.

 

 La notion de commencement ou de fin du temps est aussi traitée par Aristote : « Il est impossible que le mouvement ait commencé ou qu’il finisse. Il en est de même pour le temps, car il ne pourrait y avoir ni l’avant ni l’après si le temps n’existait pas ». En effet, comment définir un temps « avant le commencement » du temps, sinon par le temps lui-même : il n’y a donc, ni de commencement, ni de fin du temps.

 Pour le bouddhisme, toutes ces notions de temps n’ont pas lieu d’être. Ce ne sont que des concepts crées par l’observateur, ou plus exactement, par une fausse perception de la réalité. Les sens engendrent une mauvaise interprétation des phénomènes et surtout un attachement a vouloir étiqueter, mettre un nom sur chaque chose. Mathieu Ricard illustre bien cette pensée : « Le passage du temps est insaisissable dans l’instant présent qui ne s’écoule pas et il n’a pas l’épaisseur nécessaire pour avoir ni début ni fin. Au regard de ce présent, le passé est mort et le futur n’est pas encore né. Comment le présent pourrait-il alors exister, suspendu entre ce qui n’est plus et ce qui n’est pas encore ? Le passé et le futur n’ont aucune réalité, et le présent est insaisissable. »

 

 L’impermanence des phénomènes est une réalité et sa compréhension, une façon d’appréhender le monde. Les bouddhistes distinguent deux types d’impermanences : la grossière, celle qui nous est la plus familière (érosion du minéral, vieillissement du vivant, etc.) et la subtile où tout change à chaque fraction temporelle jusqu’au plus profond de la matière.

 

 Chaque élément constituant l’univers ne peut coexister à un même moment donné. Aucun élément ne peut demeurer fixé dans le temps, ne serait ce qu’un moment infinitésimal, car cela signifierait que la permanence peut avoir une prise sur la réalité et donc, ses limites infinies. « la cause de la destruction d’ une chose est sa naissance même.

 

 L’impermanence est au cœur du processus de causalité. Ce qui compte, c’est le fait que rien, aucune particule ni aucune autre entité dans l’ensemble de l’univers, n’a de permanence absolue. » Puisque le temps n’existe pas, la notion de commencement et de fin n’a même pas lieu d’être. L’image de l’ impermanence est parfaitement décrite par le bouddha :

 

« Ce qui est né mourra ,
Ce qui a été rassemblé sera dispersé,
Ce qui a été amassé sera épuisé,
Ce qui a été édifié s’effondrera,
Et ce qui a été élevé sera abaissé »

 

 Pour mieux représenter l’idée du temps dans la philosophie bouddhiste, nous devons définir le sens profond du terme bouddha : il désigne toute personne s’étant éveillée de l’ignorance et ayant atteint une sagesse absolue. La nature même du bouddha est, comme il a été écrit « simplement notre conscience claire, parfaite, de l’instant présent, cognitive et vide, nue et éveillée ». Et c’est cette définition qui parle le mieux du temps : c’est un instant qui n’est pas réel et dont sa vraie nature ne peut être dévoilée que par l’esprit accompli.

 

 Selon la philosophie bouddhiste, les sens engendrent une mauvaise interprétation des phénomènes et, surtout, un attachement à vouloir étiqueter, mettre un nom sur chaque chose. Si le temps n’existe pas au niveau subatomique, pourquoi apparaîtrait il au niveau macroscopique ?

Mais pourquoi donc le verre brisé ne peut il se reformer ? Pourquoi la réversibilité du temps, autorisée par les lois physiques de la statistique, ne fonctionne pas dans la réalité ?

 Il est étonnant d’observer que cette irréversibilité n’est de fait que dans l’univers macroscopique. En effet, ce flux temporel n’existe pas au niveau microscopique. Comme nous l’avons vu avec l’exemple d’Einstein et du mouvement brownien des particules, « le film du monde subatomique » peut être visionné indifféremment dans les deux sens du temps : les électrons convergent et entrent en collision à l’infini.

 

 Comment se fait il qu’une propriété inexistante au niveau de la « brique », du constituant, se concrétise pour l’ensemble de la construction, le « bâtiment » ?

 

 C’est l’observateur lui-même qui crée cette flèche du temps, car il lui est impossible, à l’ échelle macroscopique, de tenir compte de l’évolution individuelle de chaque particule du fait de son nombre trop important. Nous sommes obligés de « compresser » l’information pour en dégager un concept global qui ne reflète hélas pas la réalité. Nous ne pouvons traiter que partiellement l’information et de cette incapacité de lecture naît le paramètre temps.

 

 Prenons l’exemple du verre brisé.

 

 Un verre se brise : la flèche du temps soit disant existe car l’on ne pourra jamais revenir à un verre entier, donc revenir dans le passé. Mais si nous prenons le vrai point de départ de l’événement, celui des grains de sables que nous avons associés pour fabriquer ce verre, la vrai finalité de l’histoire, celle ou le verre redevient sable de par son usure irrémédiable (cassé ou pas cassé), il n’y a pas de changement apparent.

 

 Les grains de sable sont toujours là (en admettant encore qu’ils existent !), ce n’est que l’histoire centrale, inventée par l’observateur cet assemblage de poussière qui lui a donné une différenciation, une spécificité particulière temporelle.

 

 Une idée seule apparaît, une idée d’ intention, de direction. Ce fameux temps psychologique donne une impulsion de continuité, de linéarité à une somme infinie d’instants, alors que nous sommes en présence de phénomènes totalement impermanents.

 

 Tout est présent, en constant mouvement d’interdépendance. L’effet d ’écoulement du temps est renforcé par la notion de jour et de nuit qui n’existe pas dans la réalité. Tout est lumière.

 

 « L’être humain est partie intégrante du tout appelé ‘univers’, une partie limitée dans le temps et l’espace. Il fait l’expérience de ses pensées et de ses émotions comme quelque chose de dissociée du reste, en fait comme une sorte d’illusion d’optique de sa conscience. Cette illusion est en quelque sorte une prison pour lui, une prison qui le restreint à prendre des décisions purement personnelles et à donner de l’affection aux quelques personnes seulement qu lui sont le plus intimes. » Albert Einstein.

 

A SUIVRE…

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